Un article un peu long mais très intéressant pour tous ceux qui étaient peut être un peu découragés à la lecture de l'article sur le site d'Ideo...
Merci Cécile !
Le coton de la colère
par SIMON PETITE
Paru le Mardi 22 Novembre 2005
http://www.lecourrier.ch/modules.php?
INDE - Un Etat du Sud de l'Inde vient d'interdire plusieurs variétés
de coton transgénique. Un premier pas vers un moratoire? Les milieux
anti-OGM indiens suivront attentivement le vote des Suisses ce
dimanche.
Le gouvernement d'Andhra Pradesh a interdit trois variétés de coton
transgénique. Le couperet est tombé en mai 2005. Les autorités de cet
Etat du Sud de l'Inde - dix fois plus peuplé que la Suisse - ont fini
par perdre patience. Elles réclamaient en vain des indemnisations à
Mayco Biotech, filiale de Monsanto, pour les pertes subies par de
nombreux paysans. Sur le banc des accusés, le coton Bollgard de la
multinationale étasunienne, aussi appelé Bt, du nom d'une bactérie
naturellement toxique. Les chercheurs en ont extrait un gène tuant le
«Bollworm». Ce ver très vorace est le cauchemar des cultivateurs de
coton. Le Bollgard, un produit miracle? C'est en tout cas ce qu'ont
cru des milliers de paysans indiens.
Dès leur introduction en 2002, les nouvelles semences ont bénéficié
d'une intense campagne marketing. Une star de Bollywood a été engagée
pour vanter les mérites du produit. Sur les affiches, on voyait des
cultivateurs tout sourire. A côté d'eux, un tracteur flambant neuf
acquis grâce au coton transgénique.
La section indienne de Greenpeace a voulu en avoir le coeur net. L'un
des paysans modèles était en fait un petit commerçant. Un autre a
déclaré: «Avec les rendements du coton Bt, je ne pourrais même pas
acheter les deux pneus d'un tracteur!»1
Paysans ignorants
«Monsanto a profité du désespoir des campagnes. En Andhra Pradesh, on
ne compte plus les suicides de paysans endettés. Avant la révolution
verte et l'imposition de solutions agronomiques toutes faites, les
gens connaissaient les semences qu'ils utilisaient. La nouvelle
génération ne sait plus rien. Elle est totalement dépendante de
l'information donnée par les autorités et tombe dans le panneau des
publicités mensongères», constate P.V. Satheesh, directeur de la
Deccan Development Society (DDS). L'activiste était récemment de
passage en Suisse sur invitation des oeuvres d'entraide.
De 2002 à 2005, la DDS a rendu visite aux exploitants d'Andhra
Pradesh et comparé les performances du Bollgard avec celles du coton
traditionnel. Verdict: les rendements du coton hybride ont été
inférieurs de 8% et de 35% lors des années sèches. Contrairement aux
promesses, les paysans qui ont opté pour le Bollgard ont utilisé
autant de pesticides. Sur les trois ans étudiés, leurs revenus ont
baissé de 60% et une partie de leurs sols sont devenus trop toxiques
pour d'autres cultures.
La DDS a aussi réalisé un film. Sur fond de plants rachitiques, les
paysans se succèdent devant la caméra, jurant qu'on ne les y
reprendrait plus. On voit aussi des entrepôts de Bollgard incendiés
par une foule en colère. «En Andhra Pradesh, le coton Bt a été
utilisé par au moins 25 000 exploitants», estime P.V. Satheesh.
La contestation anti-Bt enfle
La fronde contre le coton hybride dépasse l'Etat d'Andhra Pradesh. La
semaine dernière, des activistes ont accusé le gouvernement du Mayha
Pradesh (Centre) de passivité. Dans cet Etat, le permis des trois
variétés de coton bannies en Andhra Pradesh a été prolongé pour une
durée de trois ans, rapporte The Hindu, le quotidien de référence du
sous-continent.
Une vingtaine d'organisations indiennes viennent de lancer des
missions d'évaluation dans cinq Etats de l'Inde (Andhra Pradesh,
Pendjab, Madhya Pradesh, Maharashtra et Tamil Nadu). «Nous voulons
mettre la pression sur les autorités pour qu'elles défendent les
intérêts des agriculteurs», plaide Kavitha Kuruganti, du Centre pour
une agriculture durable. Les premiers éléments recueillis lors des
visites sur le terrain sont accablants pour le coton Bt.
Dans les milieux anti-OGM indiens, on suivra attentivement les
résultats du vote de ce dimanche en Suisse. Un «oui» des Helvètes à
un moratoire ferait réfléchir les Indiens, assure P.V. Satheesh. «Ces
dernières années, la classe moyenne indienne a vu son pouvoir d'achat
et son influence augmenter. Elle croit qu'il suffirait d'attirer
davantage d'investissements étrangers dans le secteur agricole pour
avoir le même boom que dans les nouvelles technologies. Les
adversaires des OGM sont considérés comme archaïques. Le choix de la
Suisse bousculera cette conception manichéenne», espère-t-il.
Le même combat en Suisse et en Inde? Sur le sous-continent,
l'agriculture fait vivre 65% de la population. En Suisse, il ne reste
plus que 60 000 exploitants. «Comme le montre l'histoire du coton Bt,
le choix des semences est une question de vie ou de mort», prévient
P.V. Satheesh.
L'activiste se défend d'être un anti-OGM primaire. «Il faut se rendre
à l'évidence: en Inde, le coton Bt ne marche pas. Les parcelles sont
trop exiguës et le gène de Monsanto ne s'attaque qu'à un seul
parasite. Une fois ce dernier affaibli, d'autres prennent la relève.
Des solutions alternatives existent, elles sont utilisées depuis des
siècles. Comme planter des légumes au milieux des champs de coton.
Les vers dévoreront les premiers et épargneront les seconds.»
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